1er prix La Reliure du Limousin : Restauration, numérisation et conditionnement sur mesure d’un bréviaire manuscrit du XIIIème siècle
En décembre dernier, un bréviaire manuscrit sur parchemin datant du dernier quart du XIIIe siècle conservé dans la Réserve précieuse de la bibliothèque de Fels a été lauréat de la première édition du prix La Reliure du Limousin. Il séjourne désormais à l’atelier, prêt à retrouver tout son éclat.
Un Bréviaire du XIIIe Siècle… et une Reliure du XIXe
L’expression « Ne jugez pas un livre par sa couverture » ne s’est jamais mieux appliquée qu’ici : de prime abord, nous ne voyons qu’une reliure en piteux état, au dos complètement désolidarisé. La pleine peau, certainement de la basane (peau de mouton tannée, utilisée à partir du XVIIIe siècle pour les reliures d’usage car de qualité médiocre), s’est ouverte au niveau des mors, fissurée à divers endroits et présente quelques manques, notamment au niveau des mors et des coins. Les plats, bien que décorés par une dorure à froid, témoignent d’une usure marquée. Le dos orné de dorures, de fleurons et d’estampe, accuse le passage du temps : il est marron, brûlé par le soleil tandis que le reste de la couvrure est d’un brun foncé tirant sur le vert.
Rien ne laisse présager du joyau qu’il renferme : un bréviaire clunisien à l’usage de l’abbaye Sainte-Marie d’Arles-sur-Tech, exécuté dans le scriptorium de l’abbaye de Moissac à la fin du XIIIe siècle. Haut de 18 cm pour 12 cm de largeur, il se compose de 325 feuillets en peau de parchemin, manuscrit et décoré de lettrines bleues et rouges, ainsi que de quelques bordures colorées. Ce type de livre liturgique est particulièrement rare ; il en va du code éthique des Conservateurs-Restaurateurs (cf article 14 du Code éthique de l’E.C.C.O.*) de restaurer un tel trésor.
Une Restauration sur une Restauration
Après un constat d’état minutieux, il nous apparaît très clairement que cet ouvrage a déjà subi une première restauration. Outre sa couvrure, des renforts papiers sont notamment visibles sur les premières et dernières pages. Si ceux-ci sont à retirer au cours de la restauration, ce n’est pas le cas de tous. En effet, un renfort particulier prend la place d’une lettrine qui a été redessinée par une main inconnue.
Cette trace, comme d’autres, font désormais partie de l’histoire de ce bréviaire. Aussi, lors du traitement proposé par la Reliure du Limousin, il est convenu que ce renfort devait être conservé, tout comme la dernière couvrure en date du bréviaire, considérée désormais comme une partie originale de cet ouvrage.
En atelier, un protocole unique est dressé pour répondre au mieux aux spécificités de l’ouvrage.
La première étape de la restauration est sans doute la plus impressionnante pour les non-initiés : le débrochage. En effet, afin de restaurer au mieux chaque constituante de l’ouvrage, il est essentiel de démonter l’ensemble afin de traiter chaque feuillet un à un, tout comme les deux plats de la couvrure. C’est d’autant plus vrai que la restauration effectuée au XIXe siècle a laissé des séquelles et un apport de matériaux dangereux pour le parchemin.
Notre analyse a révélé que le dos avait été enduit d’une colle forte et épaisse, qui s’apparente à une colle plastique actuelle. Afin de la retirer, le corps d’ouvrage est maintenu dans une position idéale et sécuritaire à l’aide d’une presse à dorer, de manière à pouvoir appliquer un cataplasme sur la zone encollée. L’humidité relative et contrôlée est apportée par un papier bolloré, jusqu’à ce que la colle d’origine soit suffisamment ramollie pour être enlevée, couche par couche, en veillant à ne pas endommager plus qu’ils ne le sont déjà les 23 fonds de cahiers que contient l’ouvrage.
Tous les feuillets peuvent ainsi être libérés. Déjà folioté puis paginé, chaque feuillet est minutieusement nettoyé. La présence de renforts disgracieux et nuisibles autant à l’esthétique qu’à l’intégrité du bréviaire (à cause des colles acides) nous contraint à faire une mise à nu : ces renforts, présents sur la première et sur la dernière page, sont ôtés à l’aide d’un nouveau cataplasme. Le premier dévoile une déchirure, le second une lacune.
Matière vivante, le parchemin a beaucoup bougé au fil des ans : il présente des ondulations et des plissures. Les feuillets vont en chambre de Lascaux, où l’humidité est apportée progressivement et de manière contrôlée. Cette technique permet de les assouplir tout en ne prenant aucun risque pour les écritures. Par la suite, les feuillets sont mis à plat pendant plusieurs semaines lors d’un séchage à l’air ambiant, entre intissés, feutres et buvards légèrement chargés de poids.
Bien que matière solide, le parchemin présente des zones fragilisées : notamment des déchirures et quelques lacunes. Il est donc consolidé à l’aide de papiers japonais de différents grammages et couleurs pour se rapprocher au plus près de la teinte, mais surtout de l’épaisseur de chaque feuillet en parchemin. Suite à plusieurs tests de stabilité des encres, les réparations sont effectuées à l’aide de colle d’amidon, de manière à avoir une restauration parfaitement réversible (cf article 9 du Code éthique de l’E.C.C.O.*). Les fonds endommagés par la colle de la précédente restauration sont également renforcés.
Les débords de papier japonais sont ensuite ébarbés en prenant garde à ne jamais toucher au parchemin, puis les feuillets sont reclassés.
Disposant de scanners patrimoniaux qui permettent une numérisation répondant aux normes ISO 19264, Metamorfoze light et FADGI, la Reliure du Limousin se charge ensuite de la numérisation patrimoniale de l’ouvrage : en restaurant intégralement le bréviaire dans nos locaux, il nous est possible d’intégrer la numérisation directement au protocole et d’effectuer les prises de vue à 180° avant de remonter la couvrure de l’ouvrage. Cela nous garantit un accès optimal aux écritures et une qualité d’image supérieure.
L’ouvrage est numérisé en 400 dpi avec un soin particulier apporté à la reproduction numérique des couleurs, via l’intégration d’un profil colorimétrique dédié.
Les vues numériques sont transmises au format TIFF (conservation) et JPEG (diffusion), afin de rendre accessible au plus grand nombre le savoir contenu dans cet ouvrage exceptionnel.
Une fois les cahiers recousus sur trois ficelles, à l’identique des supports de couture originels, les plats peuvent être rattachés après leur restauration. Ceci implique le comblage des lacunes des plats, qui se fait dans le cas présent à l’aide de cuir de veau : en effet, il est impensable de remettre de la basane, qui ne fournit pas une résistance suffisante pour la conservation. Le cuir ajouté est donc teinté, pour correspondre à la couleur des plats, puis ciré pour être parfaitement protégé.
Suite à la restauration du parchemin, le volume a gagné en épaisseur et les tranchefiles d’origine ne sont plus assez longues. Toutefois, elles sont suffisamment larges pour qu’il soit possible de récupérer le tissu qui les compose afin de les prolonger discrètement, dans le respect de l’esthétique choisie au XIXe siècle.
L’ouvrage peut ainsi être arrondi, et le dos apprêté. Tout comme pour les tranchefiles, le dos originel au-delà de ses dégradations, est désormais trop étroit. Un dos neuf est donc confectionné en cuir et le dos originel est réincrusté à l’aide de colle d’amidon.
Les gardes, conservées elles-aussi, sont restaurées au papier japonais, recousues et recollées dans le mors. Toutefois, il ne s’agit pas de simples gardes : le papier marbré utilisé est un caillouté marron sur lequel la restauration au papier japonais est trop visible et offre un rendu peu satisfaisant. Notre restauratrice s’attèle donc à une remise en teinte de la consolidation et reproduit le motif original du papier marbré afin de rendre tout son cachet au papier, tout en restant un ton en dessous afin que la restauration demeure visible, bien que discrète.
Un ouvrage de prestige mérite toutefois plus qu’une reliure de prestige : une nouvelle boîte est donc confectionnée au format exact du bréviaire, à l’aide de cartons neutres et couvert d’une toile buckram noire. Un papier marbré fait sur mesure décore l’intérieur, clin d’œil aux gardes de la reliure, et un socle de préhension orné d’un ruban est ajouté de manière à accéder au livre en toute simplicité. Enfin, la côte anciennement présente sur une étiquette collée directement sur le dos est reportée sur la boîte via une dorure à chaud à l’or 22 carats.
C’est près d’une centaine d’heures de travail qui auront permis à ce bréviaire non seulement d’être restauré au plus près de ce qu’il fût, mais également d’être numérisé et valorisé à la hauteur de son prestige.
Le Prix la Reliure du Limousin
Depuis 2023, le prix La Reliure du Limousin, organisé en partenariat avec la Sauvegarde de l’Art Français, vient récompenser une institution publique, une collectivité ou une association au service du patrimoine écrit en lui faisant bénéficier des savoir-faire uniques de la Reliure du Limousin dans le but de préserver ses collections.
À la suite d’un appel à candidatures de plusieurs mois, un jury spécialisé analyse les projets et décerne le prix, qui est remis au lauréat à l’occasion du Salon du Patrimoine.
Les artisans de la Reliure du Limousin mettent ensuite en œuvre toute leur énergie et leurs compétences au service de ce projet via un mécénat de compétences.
L’ouvrage restauré est ensuite présenté l’année suivante à l’occasion du salon du Patrimoine.
Les candidatures pour l’édition 2024 du prix sont toujours ouvertes, n’hésitez pas à envoyer votre dossier de candidature à reliuredulimousin@sauvegardeartfrancais.fr.